Dossier PrĂ©sidence française de l’Union europĂ©enne Ă©conomie, monnaie, finances : l’heure de la cohĂ©rence ? Jacques MIstral Directeur des Ă©tudes Ă©conomiques de l’Ifri et membre du Conseil d’analyse Ă©conomique L’incomprĂ©hension qui s’est dĂ©veloppĂ©e au sein du couple franco-allemand depuis un an handicape l’Europe. L Le rapprochement entre l’UE et IsraĂ«l est gelĂ© », titre Le Ricard, 28 avril). « Les Vingt-Sept posent comme prĂ©alables au renforcement de leurs relations avec IsraĂ«l la relance du processus de paix et un engagement en faveur de la crĂ©ation d’un Etat palestinien.ActĂ©e sous prĂ©sidence française de l’Union europĂ©enne (UE), en dĂ©cembre 2008, la Économie Espagne : une faute de frappe Ă  10 milliards d'euros. Madrid a corrigĂ© jeudi sa prĂ©vision de dette publique pour 2014, celle-ci devant atteindre 98,9 % du PIB et non 99,8 % comme p7WmJ. "Le Brexit est bien plus qu'une question britannique", avance Michel Barnier. Ici, un partisan de la sortie de l'Union europĂ©enne du Royaum-Uni en juin 2016. REUTERS/Neil Hall Le Brexit est le symbole d'un dĂ©samour des peuples vis-Ă -vis de la construction europĂ©enne. L'Europe n'a-t-elle pas déçu par un trop-plein de promesses? Hubert VĂ©drine. Certainement! Avant mĂȘme le rĂ©fĂ©rendum britannique, je disais qu'il fallait traiter la question du dĂ©crochage massif des peuples par rapport Ă  l'Europe. Le Brexit n'est pas une simple aberration britannique, mais le signe d'un phĂ©nomĂšne plus large qui touche plus ou moins tous les pays. Quelles en sont les causes? Elles sont multiples. Au fil du temps, l'Europe s'est mise Ă  ne plus ressembler Ă  ce que pouvaient espĂ©rer les uns et les autres. Les Français, notamment, pensaient que l'Europe serait une France en plus grand! NOTRE DOSSIER >> L'Union europĂ©enne Ă  27 Offre limitĂ©e. 2 mois pour 1€ sans engagement Par ailleurs, l'excĂšs de promesses que vous mentionnez a Ă©tĂ© contre-productif pour l'Union europĂ©enne. En parlant d'Europe sociale, d'Europe des citoyens, d'Europe diplomatique, on a créé des attentes gigantesques! A partir du moment oĂč les peuples se sont aperçus que ces promesses n'Ă©taient pas tenues, ils ont donc logiquement considĂ©rĂ© l'Europe comme responsable, mĂȘme quand cela Ă©tait faux. Il y a eu lĂ  une forme d'hubris inconsĂ©quente, dont on subit les contre-effets de plein fouet. S'ajoute un mode de fonctionnement communautaire qui s'est aggravĂ© au fil du temps, une propension Ă  se mĂȘler de tout encouragĂ©e par la France!, qui se traduit par une rĂ©glementation "Ă  outrance", et qui finit par rendre allergiques les EuropĂ©ens les mieux disposĂ©s. "Je ne pense pas qu'il faille renforcer encore plus les pouvoirs du Parlement europĂ©en. Je suis au contraire pour que les gouvernements reprennent le contrĂŽle de la machine", avance Hubert pour L'ExpansionSe greffe aussi l'idĂ©e que c'est irrĂ©versible, quel que soit le vote des gens. Mais la crise des dĂ©mocraties reprĂ©sentatives est gĂ©nĂ©rale. Personne ne dira que les rĂ©publicains ont choisi Trump pour protester contre l'Europe! Ce dĂ©crochage des peuples face aux Ă©lites est un phĂ©nomĂšne mondial et sĂ©rieux. Michel Barnier. Vous avez raison sur un point le Brexit est bien plus qu'une question britannique. Paradoxalement, en quittant l'Union europĂ©enne, les Britanniques peuvent perdre ce Ă  quoi ils tenaient le plus, Ă  savoir le marchĂ© unique... Ce marchĂ© a Ă©tĂ© largement façonnĂ© et orientĂ© par eux dans un sens trĂšs libĂ©ral la dĂ©rĂ©gulation, la confiance exagĂ©rĂ©e dans l'autorĂ©gulation, la soft law. Et puis la construction europĂ©enne avait et a besoin, au Royaume-Uni comme en France et mĂȘme ailleurs, d'un dĂ©bat objectif sur les questions europĂ©ennes. Vous ne corrigez pas trente ans de silence et parfois de dĂ©magogie sur l'Europe en quelques mois de campagne Ă©lectorale! Pour ce qui est des raisons profondes du dĂ©samour des peuples, il est Ă©vident que la crise a nourri des mouvements d'indiffĂ©rence, voire de colĂšre Ă  l'Ă©gard de l'Europe. Effectivement, l'Europe est complexe et difficile Ă  faire fonctionner. Mais personne n'explique cette complexitĂ©. Ni pourquoi il faut ĂȘtre ensemble dans le monde d'aujourd'hui pour rester libres et indĂ©pendants! "J'avais imaginĂ© une "rĂ©vision gĂ©nĂ©rale" de toutes les compĂ©tences et les politiques de l'UE Ă  travers un grand dĂ©bat public, transparent et transversal", dĂ©clare Michel pour L'ExpansionEffectivement, des promesses n'ont pas Ă©tĂ© tenues. Mais les gouvernements eux-mĂȘmes ont refusĂ© la dimension sociale ou industrielle de l'Europe. Effectivement, l'Europe a besoin d'Ă©motions, de culture, d'Ăąme! Les citoyens ne sont pas seulement ou pas d'abord des consommateurs! Une certaine dĂ©rive ultralibĂ©rale a Ă©loignĂ© le projet europĂ©en de ses fondamentaux, ceux d'une Ă©conomie sociale de marchĂ© compĂ©titive. Que fait-on maintenant pour prĂ©venir une dĂ©sintĂ©gration de l'Europe? Hubert VĂ©drine. Il faut comprendre l'origine du grand malaise actuel. L'idĂ©e europĂ©enne est belle. Mais je pense que la prĂ©tention de construire l'Europe contre les nations, en les jugeant condamnables pourquoi parler sans cesse d'"Ă©goĂŻsmes" nationaux?, a Ă©tĂ© une erreur. Maintenant, les eurohostiles, les eurosceptiques et les euroallergiques s'additionnent et dĂ©crochent. Cela ne sert Ă  rien de condamner le populisme, car ceux qui le condamnent sont justement ceux contre lesquels les peuples se rebellent. C'est un cercle vicieux. Relancer l'Europe Ă  Bratislava en septembre, sans clarification prĂ©alable, ne peut pas ĂȘtre la solution Ă  la crise actuelle. Et il n'y aura pas de clarification convaincante si l'on ne reconcentre pas clairement le rĂŽle de l'UE et de ses institutions sur deux ou trois domaines essentiels. Et si cela n'est pas accompagnĂ© d'un changement complet de compĂ©tences, d'attributions et de mentalitĂ©s de la Commission et des Etats membres. Cela veut dire Ă©galement une mise en oeuvre radicale du principe de subsidiaritĂ©. Si l'on ne fait pas cette opĂ©ration vĂ©ritĂ© radicale, si l'on ne fait pas une pause dans l'Ă©largissement et l'intĂ©gration pour prendre le temps de rĂ©flĂ©chir sĂ©rieusement avant de redĂ©marrer, je crains que l'ensemble ne sombre ou ne s'enlise. Hubert VĂ©drine et Michel pour L'ExpansionMichel Barnier. Je vous trouve trĂšs fataliste. A l'appui de votre dĂ©monstration, vous dĂ©crivez une construction europĂ©enne qui n'est pas celle que j'ai vĂ©cue. Cela fait trĂšs longtemps que le rĂȘve fĂ©dĂ©raliste de certains n'est plus d'actualitĂ©! Cela fait trĂšs longtemps que les gouvernements et les nations jouent un rĂŽle trĂšs important au quotidien - parfois trop - dans la construction europĂ©enne. Je n'ai jamais Ă©tĂ© partisan d'une Europe qui, comme disait le gĂ©nĂ©ral de Gaulle, viendrait "broyer les peuples comme dans une purĂ©e de marron". Nous avons besoin des nations pour combattre le nationalisme! Nous voulons faire une Europe unie, pas uniforme, une communautĂ© qui mutualise... Sans effacer les diffĂ©rences, car chaque peuple garde son identitĂ©, sa langue, sa culture. Hubert VĂ©drine. Il n'empĂȘche que l'idĂ©ologie de la Commission en tant que corps sociologique a longtemps Ă©tĂ© de lutter contre les Etats au nom d'un intĂ©rĂȘt supĂ©rieur, qu'elle aurait Ă©tĂ© seule Ă  connaĂźtre et Ă  incarner, et par ailleurs de ne pas tenir compte des votes hostiles ou critiques des peuples. Quant aux commissaires europĂ©ens eux-mĂȘmes, cela dĂ©pend des cas. Michel Barnier. Il est vrai que certains technocrates sont persuadĂ©s d'ĂȘtre toujours dans le juste. Cela peut changer! J'avais imaginĂ© une "rĂ©vision gĂ©nĂ©rale" de toutes les compĂ©tences et les politiques de l'UE Ă  travers un grand dĂ©bat public, transparent et transversal. L'objectif vĂ©rifier oĂč se trouve la valeur ajoutĂ©e europĂ©enne. Si, dans un domaine, l'Ă©chelon europĂ©en n'a pas ou plus de valeur ajoutĂ©e, alors on rend la compĂ©tence aux Etats ou aux rĂ©gions. L'intĂ©rĂȘt de cette revue gĂ©nĂ©rale, c'est de rĂ©duire l'inflation lĂ©gislative... La Commission de Jean-Claude Juncker s'est engagĂ©e dans cette voie. Hubert VĂ©drine et Michel Barnier, de pour L'ExpansionFaut-il rĂ©duire le pouvoir de la Commission, voire la supprimer? Hubert VĂ©drine. Contrairement Ă  ce que proposent certains, je ne pense pas qu'il faille renforcer encore plus les pouvoirs du Parlement europĂ©en. Je suis au contraire pour que les gouvernements reprennent le contrĂŽle de la machine et que l'on associe plus les parlements nationaux. C'est aux gouvernements en premier lieu de redĂ©finir ce que vous appelez la valeur ajoutĂ©e de l'Union europĂ©enne. Quant Ă  la Commission, elle est surdimensionnĂ©e - c'est absurde d'avoir un commissaire par pays - et n'est plus assez contrĂŽlĂ©e politiquement. C'est devenu un organisme bureaucratique qui veut rĂ©glementer tout dans le dĂ©tail. Michel Barnier. Je connais assez bien cette institution. Si le commissaire ne joue pas le rĂŽle d'un politique, alors il devient effectivement le porte-parole de son administration. A coup sĂ»r, on peut amĂ©liorer la collĂ©gialitĂ© et, un jour, avoir une Commission moins nombreuse. Mais attention aux idĂ©es reçues! Le premier budget de l'UE 350 milliards d'euros de fonds structurels rĂ©gionaux est gĂ©rĂ© Ă  Bruxelles avec 600 personnes. LIRE AUSSI >> Pierre Moscovici "Nous sommes la Commission de la derniĂšre chance" La Commission a-t-elle trop de pouvoirs? Soyons justes elle fait des propositions sauf en matiĂšre de concurrence, et ce sont les ministres et les dĂ©putĂ©s europĂ©ens qui dĂ©cident! Si les textes sont trop complexes, c'est souvent le fruit du processus lĂ©gislatif, et non pas la faute de la Commission. Sans parler des "surtranspositions" dans certains pays, comme le nĂŽtre, qui en rajoutent lorsque le texte europĂ©en est traduit dans le droit national! Hubert VĂ©drineet Michel Barnier de dos. Dahmane pour L'ExpansionConcernant la zone euro, certains experts prĂ©conisent davantage d'intĂ©gration avec la crĂ©ation d'un ministre des Finances, d'un budget commun, premiers pas vers un saut fĂ©dĂ©ral. Est-ce la solution pour sauver l'euro? Hubert VĂ©drine. Si cette rationalitĂ© technocratique en vase clos et un supplĂ©ment de fĂ©dĂ©ralisme sont la rĂ©ponse politique aux problĂšmes actuels, il y a de quoi s'inquiĂ©ter! Nous devons d'abord passer par un processus de clarification, y compris pour la zone euro. Par ailleurs, qui avance ces propositions? La sphĂšre financiĂšre, les banques, les directions du TrĂ©sor, la BCE. Cela fait des annĂ©es que ces milieux rĂ©pĂštent Ă  l'envi ces propositions. Ils perdent leur temps. Croyez-vous que les Allemands accepteront que leur ministre des Finances soit sous la coupe d'un superministre des Finances europĂ©en? Je ne pense pas que, dans le contexte politique europĂ©en actuel, davantage d'intĂ©gration soit la bonne rĂ©ponse. Cela n'empĂȘche pas de travailler sur plus d'harmonisation, notamment en matiĂšre de convergence fiscale. Michel Barnier. L'euro a vocation Ă  devenir la monnaie de toute l'Union europĂ©enne. A marchĂ© unique, monnaie unique. LĂ  oĂč je suis d'accord avec vous, c'est qu'on ne sortira pas de cette situation par de nouveaux traitĂ©s, contrairement Ă  ce que j'entends, mĂȘme dans mon camp politique. On a fait l'erreur pendant dix ans de vouloir rĂ©pondre Ă  la crise de confiance des citoyens par la mĂ©canique. On doit utiliser le traitĂ© actuel, qui permet beaucoup de choses pour avoir de nouvelles avancĂ©es. A partir de l'union monĂ©taire, nous devons poursuivre la construction de l'union bancaire, la coordination Ă©conomique, la coordination fiscale, notamment sur l'impĂŽt sur les sociĂ©tĂ©s et, ensuite, le socle social. Hubert VĂ©drine et Michel pour L'ExpansionAlors que la France a de nouveau Ă©tĂ© frappĂ©e cet Ă©tĂ© par le terrorisme, la crĂ©ation d'une Europe de la dĂ©fense et de la sĂ©curitĂ© est-elle crĂ©dible? Hubert VĂ©drine. Attention aux slogans creux qui crĂ©ent de nouvelles attentes! Les EuropĂ©ens ne sont pas en Ă©tat de hisser Ă  2% du PIB leurs budgets de la dĂ©fense et de s'unir pour crĂ©er une "armĂ©e" qui serait commandĂ©e par qui? capable de dĂ©fendre l'Europe. De toute façon, c'est sur l'Otan qu'ils comptent. En revanche, une vraie force europĂ©enne d'intervention rapide, oui, il faut essayer. Et il y a beaucoup d'initiatives Ă  prendre, de la coopĂ©ration industrielle Ă  la crĂ©ation d'un fonds d'investissement, comme le propose Thierry Breton. Et, sur la sĂ©curitĂ©, le contrĂŽle des frontiĂšres d'un nouveau Schengen, lĂ , oui, il y a aussi beaucoup Ă  faire. LIRE AUSSI >> Michel Barnier. C'est le sujet le plus sensible... Nous sommes lĂ  au coeur de la souverainetĂ© nationale. Voulons-nous exercer en commun cette souverainetĂ© face Ă  des menaces qui ne connaissent plus de frontiĂšres? SĂ©curitĂ© intĂ©rieure et danger extĂ©rieur sont dĂ©sormais liĂ©s. Compte tenu de cette nouvelle donne gĂ©opolitique, on ne s'en sortira pas tout seuls, chacun pour soi, chacun chez soi! En matiĂšre de dĂ©fense et de gestion de nos frontiĂšres, il y a un champ pour davantage de mutualisation et de coopĂ©ration entre les gouvernements, les industriels et les services de sĂ©curitĂ©. C'est la prioritĂ© affichĂ©e par la "stratĂ©gie globale" proposĂ©e dĂ©but juillet par Federica Mogherini, la haute reprĂ©sentante pour la politique extĂ©rieure. Les protagonistes Michel ministre, par deux fois membre de la Commission europĂ©enne, Michel Barnier est conseiller spĂ©cial pour la politique de dĂ©fense et de sĂ©curitĂ© europĂ©enne auprĂšs du prĂ©sident de la Commission, Jean-Claude Juncker. Il a Ă©tĂ© chargĂ©, Ă  compter du 1er octobre, de prĂ©parer et de conduire pour la Commission la nĂ©gociation avec le Royaume-Uni sur le Brexit. Hubert VĂ©drine. Ancien secrĂ©taire de la prĂ©sidence de la RĂ©publique durant le rĂ©fĂ©rendum sur le traitĂ© de Maastricht, ministre des Affaires Ă©trangĂšres de Lionel Jospin, Hubert VĂ©drine est une des grandes voix de la diplomatie française. Les plus lus OpinionsChroniquePar GĂ©rald BronnerLa chronique d'AurĂ©lien SaussayPar AurĂ©lien Saussay, chercheur Ă  la London School of Economics, Ă©conomiste de l'environnement spĂ©cialiste des questions de transition Ă©nergĂ©tiqueChroniqueAbnousse ShalmaniLa chronique de Christophe DonnerChristophe Donner SecuPressVous n’ĂȘtes pas autorisĂ© Ă  accĂ©der Ă  lĂ  page enregistrĂ©s Votre IP 16 August 2022 1940Raison Mauvaise GĂ©olocalisationSupport ID Au mois de juillet, pour son premier rapport de l’histoire sur le budget de l’ElysĂ©e, la Cour des comptes avait dĂ©jĂ  relevĂ© de nombreuses anomalies, mettant notamment Ă  jour un systĂšme de sondages aussi coĂ»teux qu’inopportuns. Trois mois plus tard, ce sont cette fois les comptes de la prĂ©sidence française de l’Union europĂ©enne qui sont suite aprĂšs la publicitĂ© Du 1er juillet au 31 dĂ©cembre 2008, l’Etat français aura dĂ©pensĂ© 171 millions d’euros, selon le rapport de l’institution de contrĂŽle budgĂ©taire, publiĂ© par Mediapart. Certes, on pourra toujours dire que c’est moins que les 190 millions d’euros d’autorisations d’engagement initialement votĂ©es par le Parlement français. Mais c’est trois fois plus que la prĂ©sidence française de 2000 57 millions d’euros, mais l’UE ne comptait alors que 15 membres, prĂšs de deux fois plus Ă©galement que la prĂ©cĂ©dente prĂ©sidence slovĂšne 80 millions d’euros et Ă  peine moins que la prĂ©sidence allemande en 2007 180 millions d’euros. Surtout, la Cour des comptes met en exergue un nombre de manifestations dĂ©cidĂ©es Ă  l’initiative de la prĂ©sidence » supĂ©rieur aux manifestations obligatoires ou traditionnelles », que les Etats Ă  la tĂȘte de l’UE se doivent d’organiser. Et pointe un coĂ»t parfois Ă©levĂ© » et un caractĂšre parfois dĂ©rogatoire, voire irrĂ©gulier, des procĂ©dures suivies ». 1 072 437 euros pour un dĂźner de 200 personnes » Des dĂ©rives qui se retrouvent particuliĂšrement dans l’organisation d’une manifestation, soulignĂ©e par Mediapart l’organisation du sommet pour la crĂ©ation de l’Union pour la MĂ©diterranĂ©e, qui s’est dĂ©roulĂ© les 13 et 14 juillet 2008 Ă  Paris. La Cour des comptes ne peut ĂȘtre plus directe La suite aprĂšs la publicitĂ© Par son ampleur, le caractĂšre irrĂ©gulier des procĂ©dures suivies et son impact massif pour les finances publiques, ce sommet constituera une forme de record. »Au final, ce sont 16 592 329 d’euros qui auront Ă©tĂ© dĂ©pensĂ©s en deux jours par l’Etat français, donc par les contribuables. Rien que pour la rĂ©union en elle-mĂȘme de trois heures au Grand Palais, les prestations requises pour la circonstance ont Ă©tĂ© considĂ©rables », note la Cour des comptes. Le dĂźner avec les 43 chefs d’Etat et de gouvernement ? 1 072 437 euros pour 200 personnes, soit 5 362 euros par invitĂ©. » Rien n’était trop beau, huit salons d’entretien bilatĂ©raux avec salle de douche attenante » ont mĂȘme Ă©tĂ© installĂ©s. Et Ă  la prĂ©cipitation de l’organisation a succĂ©dĂ© une improvisation qui frise l’amateurisme Ă  l’issue du dĂ©montage, selon le mĂȘme rapport Il faut souligner que tous les amĂ©nagements en question ont Ă©tĂ© dĂ©montĂ©s dĂšs le lendemain du sommet et n’ont pas Ă©tĂ© repris ou rĂ©utilisĂ©s par l’administration. » Un ordre de rĂ©quisition du comptable public » Cette organisation Ă  la va-vite s’est d’ailleurs matĂ©rialisĂ©e par une absence totale d’appel d’offres. Au point d’aboutir au refus du comptable public du ministĂšre [des Affaires Ă©trangĂšres, qui avait la charge de ce sommet] de procĂ©der au paiement de dĂ©penses engagĂ©es de maniĂšre irrĂ©guliĂšre ». Il a fallu que Bernard Kouchner aille jusqu’à signer un ordre de rĂ©quisition du comptable public » pour que l’argent soit versĂ© Ă  la fin du mois de dĂ©cembre 2008. Si l’initiative Ă©tait Ă©videmment louable, l’Union pour la MĂ©diterranĂ©e n’en est pas moins au point mort aujourd’hui, malgrĂ© la multiplication des efforts diplomatiques... et financiers. A l’heure oĂč Nicolas Sarkozy affirme vouloir relancer l’Union pour la mĂ©diterranĂ©e, faudra-t-il aussi relancer la planche Ă  billets ? 1L’entitĂ© politique créée en un demi-siĂšcle par la volontĂ© d’intĂ©gration de certains pays europĂ©ens est d’une grande originalitĂ©. Rien de semblable n’existe ailleurs, ni n’a existĂ© dans le passĂ©. C’est une banalitĂ© de le dire. BanalitĂ© aussi de constater que la gouvernance de cette entitĂ© politique est en permanente mutation. L’Union europĂ©enne UE ne se gouverne pas aujourd’hui comme l’on gouvernait la CommunautĂ© des pĂšres fondateurs, ni mĂȘme tout Ă  fait comme la Commission europĂ©enne CE qu’a dirigĂ©e Jacques Delors pendant une dĂ©cennie, ce qui infirme d’ailleurs certaines comparaisons. Au dĂ©part, la volontĂ© d’exercer une souverainetĂ© partagĂ©e – en donnant progressivement des pouvoirs rĂ©els Ă  des institutions indĂ©pendantes – Ă©tait forte. Elle s’est longtemps maintenue, puis affaiblie. Aujourd’hui, elle est simplement absente la majoritĂ© des États membres n’envisagent pas de revenir en arriĂšre, mais plus personne – ou presque – ne veut de nouveaux transferts de souverainetĂ©. L’encĂ©phalogramme est plat. La bicyclette s’est arrĂȘtĂ©e, sans d’ailleurs que le cycliste tombe, la politique n’étant pas gouvernĂ©e par les lois de la mĂ©canique. 2Cette mutation de la gouvernance europĂ©enne n’est pas Ă©tonnante en elle-mĂȘme. La France d’aujourd’hui ne se gouverne pas comme celle des annĂ©es 1950, ni mĂȘme tout Ă  fait comme celle du gĂ©nĂ©ral de Gaulle. Quant Ă  la Belgique, autre exemple, son systĂšme politique est entiĂšrement diffĂ©rent de celui que nous connaissions il y a cinquante ans. Pourquoi l’Europe Ă©chapperait-elle Ă  un phĂ©nomĂšne aussi rĂ©pandu ? 3Mais le fait d’ĂȘtre en permanente mutation n’est pas sans consĂ©quence. Aujourd’hui, nous subissons une crise qui touche le monde financier, l’économique, le social, l’idĂ©ologique, l’éthique, cest-Ă -dire une crise politique au sens large et noble de ce terme. Son impact sur une gouvernance en mutation ne se mesure pas Ă  l’aune de quelques semaines, ou de quelques mois. Il relĂšve plutĂŽt des phĂ©nomĂšnes de longue durĂ©e, chers Ă  Fernand Braudel [1]. Au minimum, il faudrait se donner le recul de l’horizon politique qui, dans une dĂ©mocratie, tourne en moyenne autour de cinq ans. 4Il y a donc tĂ©mĂ©ritĂ© Ă  vouloir parler maintenant des effets de la crise Ă©conomique et financiĂšre sur la gouvernance europĂ©enne. Mais comme nul ne peut donner d’assurance sur la durĂ©e et l’ampleur des problĂšmes, un point provisoire peut s’avĂ©rer utile, sachant que, demain, ces vues devront ĂȘtre rĂ©visĂ©es. Quand commence la crise ? 5Pour les observateurs avertis, la crise monĂ©taire et financiĂšre est Ă  l’Ɠuvre depuis bien plus d’un an. Le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, le confirmait rĂ©cemment On peut en dater le dĂ©but [du] mois d’aoĂ»t 2007, quand des perturbations sĂ©vĂšres sont apparues sur le marchĂ© interbancaire [2]». Mais l’opinion publique europĂ©enne n’en a perçu le risque que beaucoup plus tard, ayant longtemps cru que la crise des prĂȘts hypothĂ©caires aux États-Unis resterait gĂ©ographiquement localisĂ©e dans ses effets, comme d’autres crises l’avaient Ă©tĂ© dans les dĂ©cennies prĂ©cĂ©dentes. 6L’homme de la rue, qui a toujours du mal Ă  visualiser la mondialisation et pour qui les problĂšmes de liquiditĂ©s interbancaires sont largement incomprĂ©hensibles, ne percevait, et ne perçoit sans doute toujours pas vraiment que l’intĂ©gration financiĂšre a atteint un tel degrĂ© qu’au niveau mondial, les interconnexions sont multipliĂ©es et l’interdĂ©pendance des marchĂ©s et des institutions gĂ©nĂ©ralisĂ©e. 7La premiĂšre alerte, perçue comme telle par une seule part de l’opinion, survient le 9 aoĂ»t 2007, quand BNP Paribas suspend les transactions sur deux de ses hedge funds en difficultĂ©, et que les banques centrales, y compris la Banque centrale europĂ©enne BCE, doivent injecter massivement des liquiditĂ©s dans le systĂšme financier. Le sentiment d’une catastrophe imminente ne se rĂ©pand cependant que bien plus tard, avec les rĂ©percussions mondiales de la faillite de la banque Lehman Brothers, le 15 septembre 2008. C’est bien la date que le prĂ©sident Sarkozy assigne au dĂ©but de la crise financiĂšre systĂ©mique [3]. 8Il est vrai que des sages avaient depuis longtemps signalĂ© les risques encourus. DĂšs 2001, ils disaient notamment l’intĂ©gration accrue des marchĂ©s de valeurs mobiliĂšres implique une plus grande interconnexion de maniĂšre transfrontaliĂšre [
] qui augmente leur exposition commune Ă  des chocs financiers [4] ». En aoĂ»t 2007, l’Institut Bruegel, think tank bruxellois spĂ©cialisĂ© dans les questions Ă©conomiques et financiĂšres internationales, publiait une Ă©tude intitulĂ©e Is Europe Ready for a Major Banking Crisis? [5] 9Les 19 et 20 juin 2008, les dĂ©bats du Conseil europĂ©en rĂ©uni Ă  Bruxelles ont Ă©tĂ© dominĂ©s par les consĂ©quences du Non irlandais au traitĂ© de Lisbonne. Ses conclusions s’étendent aussi aux domaines de la libertĂ©, de la sĂ©curitĂ© et de la justice, Ă  la hausse des prix alimentaires et du pĂ©trole, ainsi qu’à la situation dans les Balkans occidentaux. Un paragraphe unique est consacrĂ© aux marchĂ©s financiers. Le Conseil europĂ©en constate que les marchĂ©s financiers internationaux montrent des signes de stabilisation, mais que la situation gĂ©nĂ©rale demeure fragile. Le plan de travail global actualisĂ©, adoptĂ© en octobre dernier en rĂ©action aux turbulences survenues sur les marchĂ©s financiers, est en cours de mise en Ɠuvre comme prĂ©vu et devrait ĂȘtre menĂ© Ă  bien pour la fin de 2008 » [6]. Ce n’est pas lĂ  vraiment une atmosphĂšre de crise
 10De cette analyse ressort que, pour l’opinion publique, la question de la gouvernance europĂ©enne dans la crise ne s’est posĂ©e qu’au cours du deuxiĂšme semestre 2008, au moment oĂč la France exerçait la prĂ©sidence de l’UE. Il est donc lĂ©gitime de poursuivre notre rĂ©flexion par un regard jetĂ© sur cette prĂ©sidence. La prĂ©sidence française 11L’annĂ©e 2008 s’est terminĂ©e dans un concert d’éloges Ă  l’égard de la prĂ©sidence en exercice. Ces applaudissements viennent de tous horizons politiques, y compris de secteurs qui ne peuvent ĂȘtre suspectĂ©s de partialitĂ© en faveur du prĂ©sident de la RĂ©publique française. Pour le journal Le Monde, M. Sarkozy a fait preuve d’un savoir-faire et d’une Ă©nergie qui lui valent aujourd’hui, non sans raison, un concert de louanges [7] ». M. Sarkozy se plaĂźt Ă  l’adversitĂ©, et la tranquillitĂ© l’ennuie [8] ». Au Parlement europĂ©en, les compliments proviennent de sources aussi diverses que Francis Wurtz, prĂ©sident du groupe communiste, ou Andrew Duff qui, tout en Ă©tant dĂ©putĂ© britannique, est prĂ©sident de l’Union des FĂ©dĂ©ralistes europĂ©ens UEF. Dans un raccourci teintĂ© d’ironie, un journaliste du Financial Times Ă©crit Les six mois de la prĂ©sidence française de l’UE ont Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©s comme triomphe, d’abord par la voix de Nicolas Sarkozy lui-mĂȘme, mais aussi par quelques autres » [9]. 12Toute prĂ©sidence europĂ©enne sĂ©rieuse se fonde sur un programme soigneusement prĂ©parĂ©, souvent longtemps Ă  l’avance, et trĂšs rĂ©guliĂšrement bouleversĂ© par des Ă©vĂ©nements inattendus. Elle est donc jugĂ©e sur sa capacitĂ© Ă  rĂ©aliser son programme et, en mĂȘme temps, Ă  faire face Ă  l’imprĂ©visible. 13La prĂ©sidence française avait prĂ©vu de s’occuper de politique agricole, d’union mĂ©diterranĂ©enne, de changement climatique, d’asile et d’immigration, de sĂ©curitĂ© commune. Dans chacun de ces domaines, des progrĂšs – plus ou moins importants selon les cas – ont en effet Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©s. Cette prĂ©sidence ne pouvait Ă©videmment prĂ©voir d’avoir Ă  s’occuper du rĂ©fĂ©rendum perdu en Irlande sur le traitĂ© de Lisbonne, de l’affrontement en GĂ©orgie ou de la brusque accĂ©lĂ©ration de la crise financiĂšre mondiale. C’est surtout dans ces derniers domaines que l’intervention dynamique du prĂ©sident Sarkozy a frappĂ© l’opinion. Sa prĂ©sence personnelle sur tous les fronts, sa volontĂ© Ă©vidente d’aboutir en bousculant au besoin les habitudes et les procĂ©dures, a Ă©tonnĂ© et convaincu. Les citoyens europĂ©ens ont eu l’impression qu’il y avait un pilote dans l’avion, impression dont il faut bien reconnaĂźtre qu’elle est, au niveau europĂ©en, moins frĂ©quemment ressentie qu’on pourrait le souhaiter. 14Pendant la prĂ©sidence française, l’UE a donc donnĂ© le sentiment d’ĂȘtre gouvernĂ©e, et bien gouvernĂ©e. Est-elle, pour autant, assurĂ©e de sa gouvernance ? Pour rĂ©pondre Ă  cette question, il faut s’entendre sur les mots. Pour le Petit Larousse , le gouvernement est l’organe qui dĂ©tient le pouvoir exĂ©cutif ». Pour la Commission, qui a consacrĂ© un Livre blanc Ă  la gouvernance europĂ©enne, celle-ci se dĂ©finit comme Ă©tant lensemble des rĂšgles, des procĂ©dures et des pratiques ayant trait Ă  la maniĂšre dont les pouvoirs sont exercĂ©s [10] ». 15La maniĂšre dont les pouvoirs sont exercĂ©s dans l’Union tient Ă©videmment aux institutions, et c’est par elles qu’il faut poursuivre l’analyse. 16Il s’agit d’abord des institutions exĂ©cutives. Le Parlement europĂ©en ne s’est pas dĂ©sintĂ©ressĂ© de la crise, il en a traitĂ© au cours des auditions rĂ©guliĂšres du prĂ©sident de la BCE par la Commission Ă©conomique et financiĂšre – prĂ©sidĂ©e par Pervenche BerĂšs. En juin et en juillet 2008, il a adoptĂ© des rĂ©solutions demandant Ă  la Commission d’introduire des propositions lĂ©gislatives Ă©tablissant de nouvelles rĂšgles pour les marchĂ©s financiers [11]. Mais le Parlement est un pouvoir lĂ©gislatif, et la gestion de crise est essentiellement une responsabilitĂ© de l’exĂ©cutif qui, dans le cadre europĂ©en, est constituĂ© par la Commission et le Conseil. S’agissant d’une crise du systĂšme financier, il est logique d’ajouter Ă  ces deux institutions la BCE, et peut-ĂȘtre mĂȘme de commencer par elle. La Banque centrale europĂ©enne 17Depuis sa crĂ©ation, la Banque centrale a Ă©tĂ© considĂ©rĂ©e comme une institution sĂ©rieuse et respectable, mais lourde, conservatrice, obsĂ©dĂ©e par la courbe de l’inflation et dominĂ©e par la rĂšgle du consensus, bref manquant de l’agilitĂ© nĂ©cessaire pour faire face aux crises. Aux yeux de certaines capitales, elle paraissait en somme trop germanique » et les critiques Ă©taient nombreuses et rĂ©guliĂšres, en particulier Ă  Paris. Ce que la crise a dĂ©montrĂ©, c’est que ces critiques Ă©taient mal fondĂ©es. 18Le 9 aoĂ»t 2007, la BCE a procĂ©dĂ© en quelques heures Ă  une injection massive de liquiditĂ©s dans le systĂšme bancaire. Cette action s’est poursuivie et renouvelĂ©e pendant des mois, souvent en concertation avec la Federal Reserve FED amĂ©ricaine et les banques centrales du Royaume-Uni, du Japon, de la Suisse, du Canada. De loin la plus lourde intervention monĂ©taire dans l’histoire du monde » note un expert [12]. Avec ces mĂȘmes partenaires, elle dĂ©cide, le 8 octobre 2008, une rĂ©duction importante et concertĂ©e du taux de refinancement – un exercice collectif Ă©galement sans prĂ©cĂ©dent. Dans cette concertation internationale, c’est souvent la BCE qui a pris l’initiative et s’est montrĂ©e plus rapide, plus agile que les autres. Quand le gouvernement belge a dĂ» faire face Ă  la dĂ©bĂącle de la banque Fortis, on a vu Jean-Claude Trichet apparaĂźtre dans les couloirs de Bruxelles et sur les Ă©crans de tĂ©lĂ©vision. 19L’action de la BCE depuis le dĂ©but de la crise constitue, de l’avis gĂ©nĂ©ral, un parcours sans faute. Elle a Ă©videmment contribuĂ© Ă  la bonne tenue de l’euro, ce qui est un service inapprĂ©ciable Sans l’euro, les ondes de choc de la crise se seraient propagĂ©es au marchĂ© des changes, crĂ©ant des tensions qui auraient renvoyĂ© l’intĂ©gration politique et Ă©conomique de l’Europe des annĂ©es en arriĂšre [13] ». Cette prĂ©sence de la BCE a contribuĂ© Ă  affermir dans l’opinion le sentiment que l’UE Ă©tait gouvernĂ©e, et que l’autoritĂ© publique europĂ©enne abordait les problĂšmes de maniĂšre concertĂ©e et efficace. 20Ce rĂ©sultat n’est pas le fruit du hasard. La BCE avait organisĂ© en 2005 et 2006, avec la participation d’experts extĂ©rieurs, des exercices de simulation de crise, une forme de kriegspiel financier, qui devait conduire Ă  la mise en place d’un rĂ©seau de communication, et Ă  une rĂ©partition des rĂŽles entre les diffĂ©rents acteurs [14], ce qui s’est rĂ©vĂ©lĂ© prĂ©cieux quand la fiction a fait place Ă  la rĂ©alitĂ©. La Commission europĂ©enne 21Dans les premiers mois de la crise bancaire et financiĂšre, la Commission s’est dĂ©libĂ©rĂ©ment abstenue d’intervenir dans le dĂ©bat. 22Cette rĂ©ticence a Ă©tĂ© initialement justifiĂ©e par le fait qu’elle n’avait ni la compĂ©tence ni les moyens budgĂ©taires d’intervenir dans une crise de ce type, ce qui est Ă  la fois vrai et faux. Selon les traitĂ©s, la Commission ne dispose pas de compĂ©tence spĂ©cifique dans le domaine monĂ©taire, bancaire, ni pour la gestion macro-Ă©conomique. Il est aussi vrai que le budget de l’Union, thĂ©oriquement fixĂ© au seuil dĂ©jĂ  fort bas de 1,24 % du produit intĂ©rieur brut PIB de l’UE, est en fait rabotĂ© chaque annĂ©e par le Conseil Affaires Ă©conomiques et financiĂšres ECOFIN » [15], au point qu’il n’atteindra en 2009 que 0,90 % de ce PIB. La marge de manƓuvre est donc quasi inexistante. En revanche, dans la structure institutionnelle de l’UE, la Commission a des compĂ©tences gĂ©nĂ©rales qui auraient pu, et dĂ», ĂȘtre utilisĂ©es celle d’exprimer et de dĂ©fendre l’intĂ©rĂȘt collectif face aux intĂ©rĂȘts nationaux, celle de proposer puis d’initier des rĂ©glementations nouvelles lĂ  oĂč elles s’avĂšrent nĂ©cessaires et celle d’appliquer le droit communautaire, avec certes la souplesse requise par une crise sans prĂ©cĂ©dent mais dans un esprit de non-discrimination que certains n’ont guĂšre semblĂ© vouloir respecter. 23Une autre explication de cette rĂ©ticence se fonde sur l’argument que les États membres ne souhaitaient manifestement pas que la Commission intervienne, parce qu’ils craignaient que son intervention ne conduise Ă  terme Ă  un transfert de compĂ©tences au niveau europĂ©en. La constatation est indiscutable. Les bureaucraties nationales, en particulier celles des Finances, dĂ»ment relayĂ©es au niveau du Conseil par leurs ministres respectifs, s’opposent depuis toujours Ă  tout ce qui pourrait conduire Ă  une diminution de leurs pouvoirs. Si, au cours des annĂ©es, la Commission les avait toujours Ă©coutĂ©es, il n’y aurait aujourd’hui ni marchĂ© intĂ©rieur ni monnaie unique. Il y a lĂ  sans doute une leçon Ă  mĂ©diter. 24Cette absence relative de la Commission dans le dĂ©bat a Ă©tĂ© remarquĂ©e. Au cours de l’automne 2008, des voix se sont Ă©levĂ©es pour demander qu’elle reprenne son rĂŽle. Les trustees de Friends of Europe, prĂ©sidĂ©s par Étienne Davignon, appellent la Commission europĂ©enne et son prĂ©sident, JosĂ© Manuel Barroso, Ă  assumer le rĂŽle de direction et les responsabilitĂ©s qui appartiennent Ă  cette institution [16] ». Le comitĂ© d’orientation de Notre Europe, qui rĂ©unit – sous la prĂ©sidence de Jacques Delors – des personnalitĂ©s de haut niveau de nombreux pays, souligne que la continuitĂ© et la cohĂ©rence de l’action de l’Union doivent ĂȘtre assurĂ©es par la Commission europĂ©enne [17] ». À la veille du Conseil europĂ©en de dĂ©cembre 2008, quatre think tanks europĂ©ens ont joint leurs voix pour demander notamment que la Commission Ă©labore un cadre commun pour des interventions dans le domaine financier [18]. 25Dans les derniers mois de 2008, la Commission a adoptĂ© une attitude plus proactive. Un sĂ©minaire consacrĂ© Ă  ces questions s’est tenu au mois d’octobre, rassemblant tous ses membres et des experts venus de l’extĂ©rieur. Le 26 novembre, elle a rendu public un plan europĂ©en pour la relance Ă©conomique qui a largement inspirĂ© les conclusions du Conseil europĂ©en de dĂ©cembre [19]. On peut discuter pour savoir si ce plan rĂ©pond ou non aux exigences du moment, mais le fait institutionnel est que, pour son Ă©laboration et son adoption, la Commission a jouĂ© le rĂŽle qui est le sien. 26Il reste que lUE ne sest toujours pas dotĂ©e dun systĂšme europĂ©en de contrĂŽle prudentiel sur les banques exerçant une activitĂ© transfrontaliĂšre, ce qui nuit Ă  la crĂ©dibilitĂ© de son intervention, ou de celle des pays de l’euro, au niveau mondial. 27Pourtant, de nombreuses voix autorisĂ©es s’élĂšvent en ce sens. Dans une intervention devant la commission des Finances de l’AssemblĂ©e nationale française, Alexandre Lamfalussy – dont l’expĂ©rience et la sagesse sont reconnues par tous –, note qu’aujourd’hui le trait dominant des marchĂ©s financiers est un haut degrĂ© d’opacitĂ©, mais que l’établissement de plus de transparence – par la circulation d’informations de nature prudentielle –, se heurte Ă  beaucoup d’obstacles, de nature juridique ou autre [20]. Nicolas VĂ©ron, de l’Institut Bruegel, proposait en aoĂ»t 2007 que les banques europĂ©ennes ayant une activitĂ© transfrontaliĂšre soient soumises Ă  un rĂ©gime de rĂ©gulation et de supervision prudentielles au niveau de l’UE [21] ». Le Center for European Policy Studies CEPS propose la crĂ©ation d’un systĂšme europĂ©en de superviseurs financiers [22] ». Dans ce secteur, la gouvernance europĂ©enne est manifestement en dĂ©faut et le principe de subsidiaritĂ© est invoquĂ© Ă  contresens. 28La prĂ©sidence française a fait un effort particulier pour associer la Commission Ă  ses activitĂ©s. Nicolas Sarkozy a par exemple insistĂ© auprĂšs des Russes pour que le prĂ©sident Barroso participe Ă  Moscou aux discussions cruciales sur la GĂ©orgie. Ce n’était pas Ă©vident, et l’on doit s’en fĂ©liciter. Il reste, peut-ĂȘtre en raison du tempĂ©rament contrastĂ© des deux hommes, que le prĂ©sident de la Commission est souvent apparu comme l’adjoint, le collaborateur du prĂ©sident du Conseil europĂ©en. Tel n’est pourtant pas son rĂŽle institutionnel. 29La combinaison d’une activitĂ© rĂ©duite et d’un rĂŽle effacĂ©, au moins en apparence, a nui Ă  l’image de la Commission, particuliĂšrement dans les pays petits ou moyens qui voient traditionnellement dans cette institution un dĂ©fenseur de leurs intĂ©rĂȘts, et de l’intĂ©rĂȘt commun. À tort ou Ă  raison, la contribution de la Commission Ă  la gouvernance europĂ©enne dans la crise n’a pas Ă©tĂ© jugĂ©e dĂ©terminante. Le Conseil europĂ©en 30Il semble normal d’examiner ensemble l’Ɠuvre du Conseil des ministres et celle du Conseil europĂ©en, mĂȘme si les juristes font une distinction entre ces deux instances. C’est sur la performance de cet ensemble au cours de la prĂ©sidence française, notamment face Ă  la crise, que se concentrent les Ă©loges dĂ©jĂ  Ă©voquĂ©s. Laissons parler le prĂ©sident de la RĂ©publique française Dans la crise financiĂšre, l’Europe a Ă©tĂ© unie. L’Europe a demandĂ© le sommet de Washington, l’Europe a demandĂ© le G20 et l’Europe organisera Ă  Londres, le 2 avril prochain, le Sommet de la rĂ©forme de la gouvernance mondiale. L’Europe a dit d’une seule voix qu’elle voulait d’un capitalisme d’entrepreneurs et non pas d’un capitalisme de spĂ©culateurs, qu’elle voulait la rĂ©forme du systĂšme financier, qu’elle voulait une autre place pour les pays Ă©mergents, qu’elle voulait la moralisation du capitalisme. [23] » L’Europe est passĂ©e de l’influence Ă  la puissance », dit Jean-Pierre Jouyet, qui fut l’un des principaux artisans de cette prĂ©sidence [24]. 31Le succĂšs est indĂ©niable, trĂšs gĂ©nĂ©ralement reconnu. Mais du point de vue qui nous intĂ©resse ici, cest-Ă -dire celui de la gouvernance – la maniĂšre dont les pouvoirs sont exercĂ©s –, on peut se poser un certain nombre de questions. 32La premiĂšre, la plus Ă©vidente, tient au rĂŽle dĂ©terminant du prĂ©sident. Si on avait eu en France quelqu’un d’autre que Nicolas Sarkozy, je ne suis pas certain qu’on aurait rĂ©ussi de la mĂȘme façon », admet Jouyet. Combien de membres du Conseil europĂ©en partagent, au mĂȘme degrĂ©, la dynamique et le goĂ»t du risque du prĂ©sident français ? Si la prĂ©sidence avait Ă©tĂ© exercĂ©e par le chef du gouvernement d’un petit pays, aurait-il Ă©tĂ© reçu Ă  Moscou au mois d’aoĂ»t pour parler de la GĂ©orgie ? Le propre des performances individuelles de haut niveau, sportives ou politiques, est d’ĂȘtre difficiles Ă  imiter et Ă  reproduire. 33Au cours de cette pĂ©riode, Javier Solana, incarnation du Conseil comme institution et Haut ReprĂ©sentant pour la Politique Ă©trangĂšre et de sĂ©curitĂ© commune PESC, a Ă©tĂ© assez largement marginalisĂ©. Cela a Ă©tĂ© notĂ©, Ă  l’intĂ©rieur comme Ă  l’extĂ©rieur de l’UE. La rĂ©sonance de cette mise Ă  l’écart est d’autant plus forte que le traitĂ© de Lisbonne appellera Ă  l’avenir le titulaire de ce poste Ă  devenir, sans en avoir le nom, une sorte de ministre des Affaires Ă©trangĂšres de l’Union. 34Le couple franco-allemand joue traditionnellement un rĂŽle de moteur dans l’UE, cest-Ă -dire qu’il donne du grain Ă  moudre aux institutions, surtout sur les sujets sur lesquels la Commission est rĂ©ticente, ou pendant les pĂ©riodes oĂč elle est muette. Ce moteur est grippĂ©. Il ne s’agit pas d’un diffĂ©rend personnel entre le prĂ©sident français et la chanceliĂšre allemande, mais d’une divergence – qui n’est pas nouvelle –, dans la perception des intĂ©rĂȘts et dans le choix des approches politiques. Comme tous les couples, celui-ci ne fonctionne que lorsque, de part et d’autre, on est convaincu que l’avantage d’une action commune prime, et doit primer, sur la dĂ©fense d’approches ou d’intĂ©rĂȘts propres. Cette conviction a souvent existĂ© dans le passĂ©, et a conduit Ă  des compromis parfois historiques. Elle semble moins prĂ©sente aujourd’hui. CoĂŻncidence ou malchance, il se trouve que le Benelux [25], qui a souvent jouĂ© un rĂŽle dynamique par le passĂ©, a pratiquement cessĂ© d’exister depuis le rĂ©sultat nĂ©gatif au rĂ©fĂ©rendum nĂ©erlandais sur le TraitĂ© constitutionnel. Et la mĂ©sentente a atteint des sommets lors de la dĂ©bĂącle de la banque Fortis. 35Croire, comme certains, que l’on peut substituer Ă  ces alliances stables des coalitions occasionnelles rĂ©unissant des partenaires Ă  chaque fois diffĂ©rents, en fonction des sujets, est une illusion. Cette pratique directement inspirĂ©e de la diplomatie du xix e siĂšcle, remise au goĂ»t du jour par Donald Rumsfeld coalition of the willing » n’a jamais fonctionnĂ© dans un cadre multilatĂ©ral. Elle a toujours Ă©chouĂ© parce qu’elle est source de tensions et non de synergies. 36Il ne s’agit en rien de minimiser les rĂ©sultats spectaculaires d’une prĂ©sidence dynamique. Mais on aurait sans doute tort de croire, au vu de ces rĂ©sultats, que la bĂȘte se porte bien. On aurait tort aussi de conclure que, pour l’avenir, sa gouvernance est assurĂ©e. Et le traitĂ© de Lisbonne ? 37Ce traitĂ© apporte de sĂ©rieux progrĂšs Ă  la construction europĂ©enne du point de vue de la dĂ©mocratie pouvoirs du Parlement europĂ©en et des parlements nationaux, de l’efficacitĂ© votes Ă  la majoritĂ© qualifiĂ©e et des relations extĂ©rieures. Il entend renforcer par diverses mesures le poids, la cohĂ©rence et les moyens de l’exĂ©cutif, cest-Ă -dire faciliter sa gouvernance. Peut-on dire que, si ce traitĂ© entrait en vigueur, nous serions mieux armĂ©s pour faire face Ă  des crises comme celle que nous connaissons ? À nouveau il faut, pour rĂ©pondre, examiner les deux branches de l’exĂ©cutif. 38La Commission sort incontestablement perdante du compromis trouvĂ© au Conseil europĂ©en de dĂ©cembre 2008. Une partie du prix qu’il a fallu payer pour la tenue d’un nouveau rĂ©fĂ©rendum en Irlande payĂ© sans garantie de rĂ©sultat est le maintien indĂ©fini de la rĂšgle d’un commissaire par État, cest-Ă -dire d’une Commission plĂ©thorique. À partir de lĂ  s’enclenche un engrenage dont nous avons eu la dĂ©monstration sous nos yeux 39Le maintien de cette rĂšgle fait que les commissaires sont perçus, et se perçoivent, comme reprĂ©sentant » l’État membre dont ils sont issus. Il devient impossible dĂšs lors de voter au sein du collĂšge. La disparitĂ© des États reprĂ©sentĂ©s est si grande qu’un vote non pondĂ©rĂ© manquerait de lĂ©gitimitĂ©. La Commission Barroso sera sans doute la premiĂšre Ă  clĂŽturer son mandat sans avoir jamais votĂ©. 40Faute de pouvoir voter, il faut dĂ©cider par consensus. Dans un groupe aussi large, il n’est pas facile Ă  atteindre, et la Commission reste en consĂ©quence facilement inactive. D’autre part, pour vaincre l’immobilisme, la tendance naturelle est de renforcer l’autoritĂ© du prĂ©sident, et donc d’évoluer vers un systĂšme prĂ©sidentiel. Ces deux tendances sont manifestes dans la Commission actuelle. 41Le prĂ©sident a plutĂŽt avantage, dans sa recherche du consensus, Ă  parler aux chefs de gouvernement, qu’il rencontre rĂ©guliĂšrement au Conseil europĂ©en, plutĂŽt qu’à leurs reprĂ©sentants » au sein de la Commission. La collĂ©gialitĂ© disparaĂźt. Comme il ne peut pas parler de tout Ă  tous, il choisit naturellement de parler surtout aux grands États, renforçant ainsi la tendance, bien Ă©vidente, vers un directoire » de ceux-ci. Il est aujourd’hui implicitement admis que la Commission ne fait pas de proposition lorsqu’un des grands États est notoirement opposĂ© Ă  cette initiative. 42Ces considĂ©rations ne sont pas formulĂ©es dans un esprit critique. Sur la base du systĂšme existant, l’engrenage indiquĂ© est inĂ©vitable ; il aboutit parfois mĂȘme Ă  un moindre mal. C’est le systĂšme qu’il aurait fallu changer ! Mais l’analyse explique bien pourquoi, Ă  la seule exception honorable des pays Benelux, il a Ă©tĂ© si facile de trouver, en dĂ©cembre dernier, un consensus sur le maintien d’un commissaire par État, rĂšgle qu’on avait auparavant dĂ©cidĂ© d’abandonner. Avec une Commission plĂ©thorique, les petits pays sont heureux de conserver l’apparence du pouvoir et de l’influence, et les grands satisfaits d’en dĂ©tenir la rĂ©alitĂ©. 43Toujours est-il que personne ne s’attend Ă  ce que l’entrĂ©e en vigueur du traitĂ© de Lisbonne renforce le rĂŽle de la Commission dans la gouvernance europĂ©enne [26]. Qu’en est-il du Conseil ? 44Le traitĂ© de Lisbonne modifie en profondeur son mode de fonctionnement en crĂ©ant des prĂ©sidences semi-permanentes pour le Conseil europĂ©en et le Conseil Relations extĂ©rieures », en faisant du Haut ReprĂ©sentant pour la PESC un vice-prĂ©sident de la Commission, et en le dotant d’un service extĂ©rieur commun. De plus, le TraitĂ© Ă©tend le champ de la majoritĂ© qualifiĂ©e. Ces innovations ont pour but dĂ©clarĂ© de renforcer la capacitĂ© de gouvernance du Conseil. 45Ce but sera-t-il atteint ? Il est Ă©videmment impossible de rĂ©pondre aussi longtemps que le TraitĂ© n’est pas entrĂ© en vigueur. Des interrogations subsistent cependant, surtout autour du trio de tĂȘte [27]. Des tensions semblent inĂ©vitables entre le prĂ©sident du Conseil europĂ©en et le prĂ©sident de la Commission, entre ce dernier et son puissant vice-prĂ©sident, entre le Haut ReprĂ©sentant et le prĂ©sident du Conseil europĂ©en. Il y a beaucoup d’ambiguĂŻtĂ©s dans les textes, en particulier en ce qui concerne les relations extĂ©rieures. On peut se demander si le prĂ©sident du Conseil europĂ©en – qui par dĂ©finition ne sera plus chef de gouvernement –, aura l’autoritĂ© politique et morale requise, Ă  ce niveau, pour faire avancer les dossiers et obtenir des dĂ©cisions, alors qu’il n’aura plus derriĂšre lui le poids de son pays et de sa fonction. 46L’avenir seul montrera si ces prĂ©occupations sont justifiĂ©es. Tout ce qu’on peut conclure Ă  prĂ©sent, c’est qu’il n’est pas certain que le traitĂ© de Lisbonne amĂ©liore substantiellement la gouvernance europĂ©enne, ni par la voie de la Commission ni par celle du Conseil. 47*** 48Comme toute sĂ©quence politique importante, la prĂ©sidence française relĂšve de plusieurs lectures possibles, non pas tant en ce qui la concerne en elle-mĂȘme qu’en ce qui concerne les tendances institutionnelles sous-jacentes mises en lumiĂšre et qui rĂ©gissent la gouvernance de l’Union. 49Pour Jean-Dominique Giuliani [28], il s’agit d’une pratique nouvelle des institutions. Le prĂ©sident a bousculĂ© les canons de la politique europĂ©enne en multipliant les prises de position fermes et en instaurant des rapports de force avec ses partenaires. Les Ă©quilibres institutionnels de l’Union Ă©voluent, alors que la politique reprend ses droits. Le Parlement europĂ©en confirme son influence et fait preuve de son utilitĂ© pendant que la Commission est dĂ©fiĂ©e par le nouvel Ă©quilibre politique ». En partie similaire est l’analyse de Jean-Louis Bourlanges, qui estime que le prĂ©sident a fracturĂ© cet univers byzantin [en] faisant enfin entrer de la politique dans la discussion [29] ». 50Pierre Defraigne invite Ă  une autre lecture. Selon lui, l’Union a Ă©tĂ© mise sur une mauvaise orbite. Elle est dĂ©sormais invitĂ©e Ă  puiser son dynamisme dans l’intergouvernemental et, comme le consensus Ă  27 est impossible, c’est le directoire des grands États qui va piloter l’attelage en bousculant les petits. Cette voie est une impasse [30] ». De mĂȘme, Pierre Moscovici suggĂšre que le prĂ©sident croit plus aux petits comitĂ©s qu’aux institutions et qu’il privilĂ©gie une vision intergouvernementale de l’Europe et une vision de directoire, dont la convocation inutile d’un G4 Ă  Paris, le 4 octobre, constitue un exemple frappant. 51Il est clair que la rĂ©ussite de la prĂ©sidence française ne doit pas occulter la faiblesse rĂ©elle et inquiĂ©tante du pouvoir exĂ©cutif dans l’UE. On peut discuter longuement des causes de cette situation. Des tensions entre États membres, et entre institutions, ont jouĂ© leur rĂŽle. Mais la rĂ©ticence des États, aujourd’hui manifeste, Ă  de nouveaux transferts de souverainetĂ© et mĂȘme au fait de permettre aux institutions communes de fonctionner dans les conditions d’indĂ©pendance prĂ©vues par les traitĂ©s, est sĂ»rement une cause centrale de cette faiblesse. On ne voit pas ce que le traitĂ© de Lisbonne pourra y changer. 52S’adressant au Parlement europĂ©en Ă  Strasbourg le 16 dĂ©cembre, le prĂ©sident Sarkozy dĂ©clarait On ne construira pas l’Europe contre les États ». Il a sĂ»rement raison. Personne d’ailleurs n’avait vraiment proposĂ© de faire cela. Mais il ne faudrait pas conclure de cette affirmation qu’on pourra construire l’Europe avec les seuls gouvernements. En Europe, l’expĂ©rience d’un demi-siĂšcle d’intĂ©gration montre le contraire. Les expĂ©riences similaires tentĂ©es ailleurs dans le monde ont toutes Ă©chouĂ©, le plus souvent faute d’un appareil institutionnel solide. En rĂ©flĂ©chissant sur le long terme, au-delĂ  d’une prĂ©sidence semestrielle, si brillante soit elle, on en revient toujours Ă  l’une des citations de Jean Monnet les plus frĂ©quemment utilisĂ©es Rien n’est possible sans les hommes, rien n’est durable sans les institutions ». Et la gouvernance se joue dans la durĂ©e. Notes [1] F. Braudel Civilisation matĂ©rielle, Économie et Capitalisme, xv e-xviii e siĂšcles. Tome III, le temps du monde, Paris, Armand Colin, 1979, p. 227 sqq retrace l’histoire des crises 1763-1783 qui ont conduit au transfert du centre de l’économie mondiale d’Amsterdam Ă  Londres. Cette description trouve un Ă©cho saisissant dans les Ă©vĂ©nements des derniers mois. [2] Intervention de Ch. Noyer au cours d’un colloque sur les marchĂ©s financiers, Tokyo, 17 novembre 2008. D’autres analyses font remonter le dĂ©but de la crise Ă  la faillite de deux hedge funds de Bear Stearns, le 20 juin 2007. [3] N. Sarkozy, Discours au Parlement europĂ©en », Strasbourg, 16 dĂ©cembre 2008. [4] Rapport final du ComitĂ© des sages sur la rĂ©gulation des marchĂ©s europĂ©ens des valeurs mobiliĂšres , prĂ©sidĂ© par A. Lamfalussy , 15 fĂ©vrier 2001. [5] N. VĂ©ron, Is Europe Ready for a Major Banking Crisis? , Bruxelles, Institut Bruegel, Bruegel Policy Brief », n? 3, aoĂ»t 2007. [6] Document 11018/1/08. Il s’agit du paragraphe [43], sur un total de 78. [7] Éditorial, Le Monde, 18 dĂ©cembre 2008. [8] The Economist, 18 dĂ©cembre 2008. [9] J. Thornill, Financial Times, 24 dĂ©cembre 2008. [10] Commision europĂ©enne, Gouvernance europĂ©enne un Livre blanc, Bruxelles, COM2001 428 final, 25 juillet 2001, p. 9, note [1]. [11] Rapport sur la transparence des fonds spĂ©culatifs A6-0296/2008, rapporteur Klaus Heiner Lehne et Rapport sur les fonds alternatifs et les fonds de capital-investisement A6-0338/2008, rapporteur Poul Nyrup Rasmussen. [12] Altman, The Great Crash 2008 A Geopolitical Setback for the West », Foreign Affairs , vol. 88, n? 1, janvier-fĂ©vrier, 2009, p. 8. [13] DĂ©claration des trustees de Friends of Europe, prĂ©sidĂ©s par Étienne Davignon, le 9 dĂ©cembre 2008. [14] MentionnĂ© par A. Lamfalussy lors de son intervention Ă  l’Euro 50 Group, Banque de France, 3 octobre 2008. [15] ComposĂ© des ministres de lÉconomie et des Finances des États membres, ainsi que, lorsque des questions budgĂ©taires sont Ă  lordre du jour, des ministres compĂ©tents en matiĂšre de budget, l’ECOFIN se rĂ©unit une fois par mois. Il couvre nombre d’aspects de la politique de lUE, tels que la coordination de la politique Ă©conomique, la surveillance Ă©conomique, le contrĂŽle de la politique budgĂ©taire et des finances publiques des États membres, leuro questions juridiques, pratiques et internationales, les marchĂ©s financiers ainsi que les mouvements de capitaux et les relations Ă©conomiques avec les pays tiers [NDLR]. [16] DĂ©claration du 8 octobre 2008, texte complet disponible sur . [17] Un besoin d’Union face Ă  la crise », Le Monde, 11 dĂ©cembre 2008. [18] CEPS, Notre Europe, European Policy Center EPC et Institut Bruegel, Open Letter to the European Council, Bruxelles, 11-12 dĂ©cembre 2008. [19] Document COM2008 800 final. [20] ExposĂ© introductif Ă  l’audition par la Commission des Finances, 27 fĂ©vrier 2008. [21] Cf. note [5]. [22] K. Lannoo, Concrete Steps towards More Integrated Financial Oversight The EU’s Policy Response to the Crisis », Londres, CEPS, Task Force Report », n? 1, dĂ©cembre 2008. [23] Discours du prĂ©sident Sarkozy au Parlement europĂ©en, 16 dĂ©cembre 2008. [24] Interview, LibĂ©ration, 27 dĂ©cembre 2008. [25] Le rĂŽle des pays du Benelux dans la construction europĂ©enne est souvent passĂ© sous silence par les Français et plus encore par les Anglais. Nous rappellerons ici le rĂŽle de Paul-Henri Spaak et de Johan W. Beyen dans la nĂ©gociation du traitĂ© de Rome, le MĂ©morandum Benelux au dĂ©part de la nĂ©gociation d’Amsterdam, et plusieurs contributions Ă  la Convention autour desquelles se sont cristallisĂ©es les positions de pays de taille similaire. [26] PrĂ©vue initialement pour le 1er janvier 2009 mais n’ayant pu ĂȘtre rĂ©alisĂ©e, lentrĂ©e en vigueur du traitĂ© de Lisbonne a Ă©tĂ© reportĂ©e par le Conseil europĂ©en des 11 et 12 dĂ©cembre 2008 et doit avoir lieu d’ici la fin de l’annĂ©e 2009. Il en dĂ©coule certaines difficultĂ©s pour les Ă©lections europĂ©ennes, le renouvellement de la Commission et le choix du futur prĂ©sident stable » du Conseil europĂ©en [NDLR]. [27] Sur les difficultĂ©s prĂ©visibles de la prĂ©sidence, voir EPC, Egmont et CEPS, The Treaty of Lisbon Implementing the Institutional Innovations, Bruxelles, novembre 2007, p. 41 sqq . [28] Lettre de la Fondation Robert Schuman, 15 dĂ©cembre 2008. [29] Interview, Figaro Magazine, 27 dĂ©cembre 2008. [30] La Libre Belgique, 31 dĂ©cembre 2008. 13h46 , le 2 janvier 2022 , modifiĂ© Ă  15h23 , le 2 janvier 2022 CARNET DE BORD DE LA PFUE - Guillaume Klossa*, fondateur du Think tank EuropaNova, revient sur la polĂ©mique suscitĂ©e par la mise en place du drapeau europĂ©en sous l'Arc de Triomphe. Suivez chaque semaine l'actualitĂ© de la PFUE avec des experts d'EuropaNova sur le dĂ©ployer le drapeau europĂ©en sous l'Arc de Triomphe sans dĂ©clencher de polĂ©mique? C'Ă©tait malheureusement peu probable dans un contexte de polarisation politique qui n'a cessĂ© de s'accentuer depuis cinq ans. Comme l'a illustrĂ©e la rĂ©cente enquĂȘte EuropaNova-JDD , l'articulation entre fiertĂ©s nationale et europĂ©enne va moins de soi dans notre pays que dans la grande majoritĂ© des autres pays europĂ©ens et tout particuliĂšrement en Allemagne et en ripostes prĂ©visiblesA regarder de plus prĂšs dans les eurobaromĂštres, les Français ne sont pas contre l'Europe, ils veulent massivement rester dans l'Union, conserver l'Euro et pensent que l'Union europĂ©enne doit jouer un rĂŽle plus grand en matiĂšre de dĂ©fense, de sĂ©curitĂ©, de politique Ă©trangĂšre, de lutte contre le rĂ©chauffement climatique
 mais ils considĂšrent que le sujet n'est pas toujours bien portĂ© par leurs classes politiques et que l'Ă©ducation comme les mĂ©dias ne jouent pas leur rĂŽle de pĂ©dagogie une forme de dĂ©fiance paradoxale. Dans le contexte particulier de campagne prĂ©sidentielle , certains soupçonnent le gouvernement d'instrumentaliser la fameuse PFUE, prĂ©sidence française du Conseil de l'Union europĂ©enne, au service des intĂ©rĂȘts Ă©lectoraux du prĂ©sident sortant. Si bien que le dĂ©ploiement du drapeau europĂ©en sous l'Arc de Triomphe a mobilisĂ© toutes les oppositions, de Zemmour Ă  MĂ©lenchon en passant par la droite modĂ©rĂ©e et a suscitĂ©, Ă  quelques exceptions prĂšs, un silence gĂȘnĂ© des verts et de la aussi - Pour rĂ©ussir la prĂ©sidence du Conseil de l'UE, la France devra ĂȘtre convaincante, innovante et rĂ©activeDans un tel contexte, fallait-il renoncer Ă  afficher le drapeau de l'Union sous l'Arc de Triomphe afin de marquer le dĂ©but de la PFUE? Pas est toujours plus facile de réécrire l'histoire que de la faire. Sans doute eĂ»t-il fallu crĂ©er les conditions d'une concertation qui fasse de ce dĂ©ploiement le rĂ©sultat d'une volontĂ© collective et non de la seule volontĂ© du chef de l'Etat. A minima eĂ»t pu ĂȘtre effectuĂ©e une pĂ©dagogie prĂ©alable expliquant que le dĂ©ploiement du drapeau de l'Union s'expliquait dans la mesure oĂč la France avait pour six mois en charge de faire avancer l'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral options possiblesD'autres options moins controversĂ©es auraient Ă©galement pu ĂȘtre privilĂ©giĂ©es comme le dĂ©ploiement conjoint des deux drapeaux français et europĂ©en comme l'avait voulu Nicolas Sarkozy lors de la prĂ©sidence française du Conseil de l'UE de 2008. Un grand travail de concertation trans-partisan et de pĂ©dagogie sur l'Union europĂ©enne avait alors Ă©tĂ© menĂ© dĂšs l'entrĂ©e en fonction de Nicolas Sarkozy en mai 2007. Il avait d'ailleurs choisi pour mener Ă  bien cette mission Jean-Pierre Jouyet, ancien directeur de cabinet de Jacques Delors Ă  la Commission nouveau prĂ©sident avait lui-mĂȘme prĂ©parĂ© l'opinion publique en annonçant un dĂ©filĂ© militaire europĂ©en le 14 juillet 2007 sur les Champs-ElysĂ©es, un an avant le dĂ©but de la prĂ©sidence française du Conseil de l'Union europĂ©enne, dĂ©filĂ© qui n'avait rien d'Ă©vident deux ans aprĂšs le non français au projet de Constitution europĂ©enne et qui, pourtant, Ă©tait passĂ© comme une lettre Ă  la plus logique eĂ»t Ă©tĂ© d'afficher les deux drapeaux cĂŽte Ă  cĂŽte sous l'Arc de Triomphe pendant le semestre europĂ©en de la France. La signification aurait Ă©tĂ© claire et incontestable la France, pendant six mois, porte les intĂ©rĂȘts de l' c'eĂ»t Ă©galement Ă©tĂ© l'occasion de rappeler que ce drapeau Ă©toilĂ© avait Ă©tĂ© voulu par les Français et qu'il portait des valeurs d'humanisme, de solidaritĂ©, d'unitĂ© importantes pour nos concitoyens mais aussi que les deux appartenances nationale et europĂ©enne, loin de s'opposer, ont vocation Ă  se complĂ©ter et se renforcer message de double appartenance est plus nĂ©cessaire que jamais et il est important qu'il soit portĂ© par classe politique qui est, dans sa diversitĂ© et dans les faits, beaucoup plus pro-europĂ©enne qu'elle ne veut bien l'afficher.* Guillaume Klossa est fondateur d'EuropaNova et essayiste. Il a Ă©tĂ© conseiller de Jean-Pierre Jouyet, ministre des Affaires europĂ©ennes lors de la PFUE de 2008.

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